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Français à l’étranger au quotidien : les binationaux
Dans le cadre d’une série de 9 entretiens sur les thèmes majeurs concernant les Français établis hors de France, nous avons interrogé Amélia Lakrafi et Richard Yung, respectivement députée de la 10ème circonscription des Français à l’étranger et sénateur représentant les Français établis hors de France sur le thème des binationaux dans le monde.
Français à l’étranger : Amélia Lakrafi, ce thème vous donne l’occasion de tordre le cou à un cliché souvent imposé aux Français de l’étranger qui, en réalité, ne sont pas exactement comme on les imagine.
Amélia Lakrafi : Absolument. Les Français que je rencontre lorsque je vais dans les pays de ma circonscription en ont marre d’être vus comme des nantis. Ils sont peinés de voir, quand ils sont en France et quand on parle d’eux, à quel point on les caricature comme l’expatrié d’un grand groupe français qui sirote un cocktail au bord de la plage. C’est triste car ces gens-là ne représentent au final que moins de 5% des français de l’étranger. Les grands groupes ont bien compris que les vrais contrats d’expatriés de l’époque étaient très coûteux. Aujourd’hui, la plupart des Français expatriés sont recrutés avec des contrats locaux et donc de manière très précaire.
FAE : Qui sont ces binationaux dans le monde et où se trouvent-ils ?
A.L. : Ils sont un peu partout. Dans ma circonscription, ils représentent entre 50 et 70% des Français de l’étranger. Je suis très présente dans les pays du Golfe dans lesquels je rencontre beaucoup de binationaux franco-maghrébins surdiplômés qui n’ont pas trouvé de travail en France et qui trouvent du travail très rapidement dans ces pays.
FAE : Richard Yung, quel portrait faites-vous de ces binationaux ?
Richard Yung : Je partage ce qu’Amélia a décrit. Globalement, il y a 60% de binationaux dans les 3,5 millions de Français à l’étranger avec des pays où cela peut atteindre 70% comme au Maghreb. Cela correspond à toutes les strates professionnelles et sociales. Certains sont des expatriés locaux et beaucoup sont même nés dans le pays où ils vivent et, pour des raisons notamment familiales, ont la nationalité française. Ils vivent comme les nationaux des pays et souvent dans des conditions assez précaires.
FAE : Amélia Lakrafi, pourquoi les trouve-t-on beaucoup dans votre circonscription ?
A.L. : Pour les plus précaires, on les trouvera à Madagascar, dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest et très peu en Afrique de l’Est. Comme le disait Richard, il s’agit, pour la majorité, de personnes nées françaises notamment avec les colonies où les parents étaient français. Beaucoup de ces binationaux le sont également par les mariages. Des Français se marient avec des femmes ou des hommes au niveau local. Les conjoints deviennent français et les enfants aussi tout en restant dans le pays. Ces enfants sont généralement assez peu attachés à la France. Ils évoquent une fierté d’être français mais il y a relativement peu de lien car on ne s’adresse pas tellement à eux.
FAE : S’agit-il des oubliés de la République ?
R.Y. : Je ne dirais pas “oubliés de la République”. Il y a tous les cas de figure. Certains sont dans des familles où ils parlent français et vont à l’école française. D’autres ont perdu la langue française car la famille a distendu ses liens avec la France. Ils ne parlent pas français à la maison et ne vont pas à l’école française. C’est dommage mais ce ne sont pas les oubliés de la République. Dans la mesure où ils sont français, ils ont accès à la bourse et peuvent aller à l’école française s’il en existe près de chez eux.
FAE : Exercent-ils ces droits ?
R.Y. : Pas toujours et c’est le problème. C’est triste pour eux et pour nous car ils sont une richesse pour nous et qu’ils perdent cette double-culture et double-langue. Je suis binational et c’est une grande richesse.
FAE : Amélia Lakrafi, allez-vous vers eux ?
A.L. : Absolument. Dans ma circonscription, je vais tout le temps dans les écoles ou les associations pour ceux qui n’ont pas d’écoles. Beaucoup de parents binationaux notamment retraités sont à la tête d’associations de bienfaisance. Ils vont à la rencontre des français les plus démunis. Je tiens à les remercier et à leur faire un grand hommage car ils sont très impliqués. Nous nous rendons compte que les Français sont les plus bénévoles et donnent leur temps pour les autres. À Madagascar, il y a 11 Organisations locales d’entraide et de solidarité (OLES) qui viennent en aide à des centaines d’enfants démunis et qui n’ont souvent pas suffisamment d’argent pour manger 3 repas par jour. Ces organisations leurs distribuent des repas et les accueillent dans des centres de loisirs l’été.
FAE : Lorsque l’on pense aux droits des binationaux, on pense naturellement au droit de vote. L’exercent-ils ?
R.Y. : Malheureusement, assez peu. Ils se sentent moins concernés et le débat politique français est loin. À Madagascar, par exemple, ils sont loin des débats français car ils ont des problèmes de survie au jour le jour. Ils restent néanmoins une grande richesse. Je pense notamment aux grandes personnalités qui étaient binationales comme Yves Montand ou Marc Chagall par exemple. Ce sont des personnes qui ont énormément apportés à la France.
FAE : Considérez-vous que les binationaux contribuent au “soft power” de la France ?
R.Y. : Pour ceux qui sont engagés, actifs et concernés par ce qu’il se passe, oui. Ils font partie de la sphère d’influence de la francophonie. Ils sont des relais importants pour nous. Ce sont des gens qui se tournent vers la France notamment en matière économique lorsqu’ils veulent faire du commerce par exemple.
A.L. : Nos entreprises se sont rendu compte que les binationaux sont des atouts notamment quand ils reviennent en France car ils connaissent très bien le pays duquel ils viennent. Le Président de la République valorise la richesse que sont ces diasporas françaises à l’étranger et nos entreprises françaises l’ont bien compris.
FAE : Considérez-vous que les binationaux font communauté ?
A.L. : Totalement. Je le dis souvent. À l’étranger, les Français sont très communautaires. Ils fréquentent les mêmes endroits comme les restaurants, l’Institut français, l’Alliance française et se connaissent tous. Cela doit rassurer et c’est normal.
R.Y. : C’est nuancé sur certains pays. Si vous habitez à Munich comme moi par exemple, on est intégré dans la vie allemande. Si vous êtes dans un petit pays où il y a une petite communauté française, elle se resserre en général autour de l’école. Il faut aussi s’intéresser au pays où on est. J’encourage donc les français à l’étranger à avoir des liens avec le pays.
FAE : Les binationaux sont-ils suffisamment scolarisés dans les établissements français de l’étranger ?
A.L. : Suffisamment, non. Nous avons la chance d’avoir des bourses pour les français à l’étranger mais certains ne sont pas au courant. Les plus précaires s’éloignent de la scolarité et de la communauté française. Au Cameroun, 50 Français sont décédés en 2 ans parce qu’ils sont tombés dans l’indigence et n’avaient pas les moyens d’acheter des médicaments pour un paludisme simple avec lequel on peut très bien vivre par exemple. C’est pourquoi nous avons décidé de valoriser les centres médico-sociaux car les Français que j’ai rencontrés ne les connaissent pas. Il s’agit de dispensaires dont les médecins-chefs sont payés par le Quai d’Orsay qui proposent des services très peu chers mais certains Français n’en ont pas les moyens. Dans des pays tels que le Cameroun, lorsque les Français tombent dans la pauvreté et qu’ils sont éloignés, ils disparaissent et nous n’avons plus de liens avec eux. Souvent, ils auront plus confiance aux associations de bienfaisance que le consulat ou l’ambassade car ils ne souhaitent pas être vus et ont honte de leur situation. Certains disent qu’ils ne veulent pas rentrer en France car ils ne veulent pas entendre “je te l’avais dit”. De plus, dans des pays, comme le Cameroun ou la République Démocratique du Congo, il n’est pas possible d’être binational mais le consulat est très arrangeant et met un visa gratuit de circulation sur le passeport. Certains de nos compatriotes ne le savent pas et rendent une de leur nationalité. Il faut donc diffuser l’information. Je souhaite que les Français binationaux se reconnaissent un peu plus dans la nouvelle génération d’élus. Richard va très souvent sur le terrain et cela est très précieux pour informer sur les droits des Français à l’étranger.
FAE : Est-ce plus difficile avec la crise sanitaire de garder des liens avec les binationaux à l’étranger ?
R.Y. : Oui, il est déjà devenu plus difficile de voyager alors que cela est nécessaire dans notre métier. Être élu des Français établis hors de France c’est passer une semaine voire dix jours par mois dans nos circonscriptions. Toutes les règles actuelles nous obligent à rechercher les pays dans lesquels nous pouvons rentrer. Il y en a très peu.
FAE : Que peut-on faire pour ramener les binationaux davantage dans le giron de la France ?
R.Y. : Il faut que les associations continuent leur travail car elles sont très utiles. Elles sont diffusées dans les pays, ont des réseaux et voient les gens qui sont en difficulté. L’un des cas que nous voyons le plus souvent est les veuves de personnes qui avaient une entreprise et travaillaient sans être déclarés qui se ne se retrouvent qu’avec la pension de réversion donc presque rien. Or, pour une question d’honneur, ces personnes ne se déclarent pas. C’est là où les associations sont importantes car elles arrivent à détecter les cas sociaux. Elles sont donc d’une grande utilité et nous avons augmenté les dotations budgétaires qui leur sont destinées.